17

 

 

— Si nous emmenions les chevaux courir, ce matin ? murmura Ayla à l’homme étendu à côté d’elle. Les bêtes semblaient nerveuses, hier, et je le suis aussi. Elles ne peuvent pas avancer à leur allure quand elles tirent les perches. Ce n’est pas le genre d’efforts qu’elles aiment.

Jondalar sourit.

— Bonne idée. Mais il y a Jonayla…

— Hollida pourrait la garder, surtout si Zelandoni les surveille aussi.

Jondalar se redressa.

— Où est-elle ? Je ne la vois pas.

— Je l’ai entendue se lever tôt. Je crois qu’elle est allée voir le doniate de la Cinquième. Si nous donnons Jonayla à garder, il faudrait peut-être laisser Loup ici, même si je ne sais pas trop comment les habitants de cette Caverne sont disposés à son égard. Ils m’ont paru un peu tendus à cause de lui, hier soir pendant le repas. Nous ne sommes pas à la Neuvième… Non, finalement, il vaut mieux emmener Jonayla. Je la prendrai sur mon dos dans la couverture à porter. Elle aime être sur le cheval.

Jondalar rabattit leur fourrure de couchage et se leva. Ayla l’imita et laissa son bébé se réveiller seul tandis qu’elle sortait pour uriner.

— Il a plu, cette nuit, annonça-t-elle à son retour.

— Ah, maintenant tu es contente d’avoir dormi dans l’abri, sous la tente ?

Elle ne répondit pas. Elle avait mal dormi, elle n’arrivait pas à dissiper son malaise, mais ils avaient effectivement passé la nuit au sec et la tente s’était aérée.

Jonayla s’était tournée sur le ventre et battait des jambes en levant la tête. Elle avait perdu son lange et le matériau absorbant souillé qu’il maintenait. Ayla le ramassa et le jeta dans le panier de nuit, roula le carré de cuir souple sali, souleva sa fille et alla au ruisseau laver l’enfant, elle-même et le lange. Jonayla était tellement habituée à ce traitement matinal qu’elle ne geignit même pas, malgré la froideur de l’eau. Ayla accrocha le morceau de cuir à un buisson près du ruisseau, s’habilla et trouva un endroit confortable pour s’asseoir à l’extérieur et donner le sein à son bébé.

Pendant ce temps, Jondalar avait repéré les chevaux un peu plus haut dans la vallée, les avait ramenés dans l’abri et étendait des couvertures sur le dos de Whinney et de Rapide. Sur la suggestion de sa compagne, il fixa également des paniers de part et d’autre de la croupe de la jument, gêné par Grise qui cherchait à téter sa mère. Au moment où ils étaient prêts à se rendre à l’abri principal, Loup réapparut. Ayla présuma qu’il était parti chasser tôt, mais son retour effraya Whinney, ce qui étonna Ayla. La jument était d’habitude une bête calme et le loup ne lui faisait généralement pas peur. Rapide était d’un tempérament plus ombrageux mais, ce matin, les chevaux semblaient tous nerveux, y compris la pouliche. Et Loup aussi, pensa Ayla lorsqu’il se pressa contre elle comme pour réclamer son attention. Elle-même se sentait angoissée. Il se passait quelque chose d’anormal. Elle leva la tête, chercha dans le ciel les signes d’un orage menaçant : non, rien qu’un voile de hauts nuages blancs percé çà et là de bleu rassurant. Les animaux et elle avaient tous probablement besoin d’une promenade pour se détendre.

Jondalar passa les licous à Rapide et à Grise. Il en avait aussi fabriqué un pour Whinney mais Ayla ne l’utilisait que rarement. Avant même de savoir qu’elle dressait sa jument, elle lui avait appris à la suivre et elle ne considérait toujours pas que c’était du dressage. Elle montrait à Whinney ce qu’elle devait faire et répétait la manœuvre jusqu’à ce qu’elle comprenne, puis la jument le faisait parce qu’elle en avait envie. C’était comme lorsque Iza avait appris à Ayla les plantes et leurs usages, par répétition et mémorisation.

Ils marchèrent jusqu’à l’abri du Zelandoni et cette fois encore, au passage de la petite procession – un homme, une femme, un bébé, un Loup et trois chevaux –, les gens interrompirent leurs activités pour les regarder, en s’efforçant toutefois de ne pas avoir l’incorrection de le faire ouvertement. Le doniate de la Cinquième et Celle Qui Était la Première sortirent de l’abri.

— Venez donc prendre avec nous le repas du matin, proposa-t-il.

— Non, merci, répondit Jondalar. Les chevaux sont agités et nous avons décidé de leur donner un peu d’exercice pour les calmer.

— Nous sommes arrivés hier seulement, rappela la Première. Ils n’ont pas eu assez d’exercice pendant le voyage ?

— Lorsqu’ils tirent les perches, ils ne peuvent pas galoper, expliqua Ayla. Ils ont parfois besoin de se dégourdir les jambes.

— Venez au moins boire une tisane, insista le Zelandoni de la Cinquième. Nous emballerons de la nourriture que vous emporterez.

Ayla et son compagnon se regardèrent, comprirent qu’ils risquaient d’offenser la Caverne s’ils refusaient. Malgré leur hâte de partir, ils acquiescèrent.

Jondalar tira son bol personnel du sac attaché à la lanière ceignant sa taille, Ayla prit aussi le sien et le tendit à une femme qui servait le liquide chaud. Celle-ci remplit les récipients et les rendit au couple. Pendant ce temps, au lieu de brouter tranquillement, les chevaux manifestaient leur nervosité. Whinney dansait sur place en respirant bruyamment ; Grise imitait le comportement de sa mère et Rapide, le cou tendu, faisait des pas de côté. Ayla s’efforça de rassurer la jument en lui flattant l’encolure et Jondalar dut s’agripper au licou pour retenir l’étalon.

Ayla regarda l’autre berge du ruisseau divisant la vallée et vit des enfants courir et crier en se livrant à un jeu qui lui parut plus agité que d’ordinaire. Ils se ruaient dans les abris et en ressortaient précipitamment et elle eut soudain l’impression que c’était dangereux, sans savoir pourquoi. Au moment où elle s’apprêtait à dire à Jondalar qu’il fallait partir, on leur apporta la nourriture promise. Ils remercièrent tout le monde, mirent les paquets dans les paniers de Whinney et, utilisant des rochers proches comme marchepied, ils montèrent sur les chevaux et quittèrent la vallée.

Dès qu’ils parvinrent à un espace découvert, ils laissèrent les bêtes galoper. La course grisante apaisa en partie l’anxiété d’Ayla mais ne l’élimina pas totalement. Lorsque enfin les chevaux se fatiguèrent et ralentirent, Jondalar avisa un bosquet au loin et guida son cheval dans cette direction. Ayla fit de même. La jeune pouliche, déjà presque aussi rapide que sa mère, les suivit. Les jeunes animaux devaient apprendre tôt à courir vite s’ils voulaient rester en vie. Loup, qui appréciait lui aussi une bonne course, se maintenait à leur niveau.

En approchant des arbres, ils découvrirent un étang, manifestement alimenté par une source, dont le trop-plein s’évacuait par un ruisselet. Mais, alors qu’ils n’en étaient plus qu’à quelques mètres, Whinney s’arrêta si brusquement qu’elle faillit faire choir Ayla. Entourant de son bras Jonayla, assise devant elle, elle se laissa glisser du dos de la jument. Son compagnon avait lui aussi des problèmes avec Rapide, qui se cabrait en hennissant. Jondalar sauta à terre, eut du mal à rester debout et s’écarta.

Ayla perçut un grondement, le sentit plus qu’elle ne l’entendit et se rendit compte que cela durait depuis un moment déjà. Devant elle, l’eau de l’étang s’éleva en un jet comme si quelqu’un avait pressé la source. Alors seulement Ayla s’aperçut que le sol bougeait.

Elle savait ce que c’était, elle avait déjà senti la terre remuer sous ses pieds et la panique lui noua la gorge. Pétrifiée, serrant son enfant contre elle, elle n’osait pas faire un pas.

L’herbe haute de la plaine entama une danse étrange tandis que la terre oscillait au rythme d’une musique inaudible montant de ses entrailles. Devant, le bosquet proche de la source amplifiait le mouvement. L’eau s’élevait et retombait, tourbillonnait sur ses berges, aspirait de la vase et la rejetait en crachats boueux. Ayla sentit l’odeur nauséabonde de la terre. Avec un craquement, un des sapins céda et s’inclina lentement, exhumant la moitié de sa masse ronde de racines.

Le tremblement paraissait interminable. Il faisait renaître des souvenirs d’un autre temps, de pertes causées par la terre qui grognait et bougeait. Ayla ferma les yeux, secouée par des sanglots de chagrin et de peur. Jonayla se mit à pleurer. Puis Ayla sentit une main sur son épaule, des bras les entourèrent, elle et son enfant, apportant consolation et réconfort. Elle se pressa contre la poitrine de l’homme qu’elle aimait et le bébé s’apaisa. Lentement, Ayla prit conscience que le tremblement avait cessé et son corps crispé commença à se détendre.

— Oh, Jondalar ! s’écria-t-elle. C’était un tremblement de terre. Je déteste les tremblements de terre !

— Je ne les aime pas trop non plus, répondit-il en serrant contre lui sa fragile petite famille.

Ayla regarda autour d’elle, vit le sapin incliné vers l’étang et frissonna au souvenir inattendu d’un lointain passé.

— Qu’y a-t-il ? demanda Jondalar.

— Cet arbre…

Il se retourna, vit le sapin aux racines déterrées.

— Je me souviens d’avoir vu de nombreux arbres renversés comme ça, tombés en travers d’un ruisseau, reprit Ayla d’un ton hésitant. Je devais être très jeune… C’était avant que je vive avec le Clan. Je crois que c’est alors que j’ai perdu ma mère, ma famille et tout le reste. Iza m’a dit que lorsqu’elle m’a trouvée je savais marcher et parler. Je devais compter quatre ou cinq ans.

Jondalar la tint contre lui jusqu’à ce qu’elle se détende de nouveau. Il comprenait mieux maintenant la terreur que ressentait sa compagne : petite fille, elle avait dû éprouver la même quand un séisme avait fait s’effondrer son monde autour d’elle et que la vie qu’elle avait connue avait brusquement pris fin.

— Ça va recommencer, tu crois ? demanda-t-elle lorsqu’ils s’écartèrent enfin l’un de l’autre. Quelquefois, quand la terre tremble comme ça, elle ne s’arrête pas tout de suite.

— Je ne sais pas. Nous devrions peut-être retourner à Vieille Vallée pour nous assurer que tout le monde va bien.

— Bien sûr ! J’ai eu tellement peur que je ne pensais pas aux autres. J’espère qu’ils n’ont rien. Et les chevaux ? s’écria Ayla en regardant autour d’elle. Ils vont bien ?

— Hormis qu’ils ont eu aussi peur que nous, je crois qu’ils vont très bien. Après m’avoir déséquilibré, Rapide s’est mis à galoper en décrivant de grands cercles. Whinney n’a pas bougé et Grise est restée à côté d’elle. Elles ont dû détaler une fois que le tremblement a cessé.

Au loin dans la plaine, Ayla repéra les bêtes et soupira, soulagée. Elle siffla pour les appeler, vit Whinney dresser la tête puis s’élancer dans sa direction. Rapide et Grise suivirent.

— Les voilà, dit Jondalar. Et Loup aussi. Il avait dû filer avec eux.

Le temps que les animaux arrivent, Ayla avait en partie recouvré son sang-froid. Faute d’un rocher ou d’une souche à proximité pour l’aider à monter sur Whinney, elle confia le bébé un instant à Jondalar et, s’agrippant à la crinière de la jument, sauta sur son dos. Puis elle récupéra l’enfant et regarda son compagnon faire de même avec Rapide, quoique Jondalar fût si grand qu’il pouvait presque enjamber sans élan le robuste étalon trapu.

Elle se tourna vers l’étang où le sapin penchait encore. Il tomberait bientôt, elle en était sûre. Elle n’avait plus aucune envie de s’approcher du bosquet, à présent. En reprenant le chemin de Vieille Vallée, ils entendirent un craquement sonore et lorsqu’ils se retournèrent ils virent le haut sapin heurter le sol avec un bruit sourd. Sur le chemin du retour, Ayla s’interrogea sur la réaction des chevaux.

— Tu crois qu’ils savaient que la terre allait trembler comme ça, Jondalar ? C’était la cause de leur comportement étrange ?

— Aucun doute, ils étaient très agités. Et tant mieux finalement. C’est à cause d’eux que nous nous sommes retrouvés dans la plaine au moment des secousses. Il vaut toujours mieux être dehors, tu n’as pas à craindre que le plafond de l’abri te tombe dessus.

— Mais le sol peut s’ouvrir sous tes pieds, objecta Ayla. Je crois que c’est ce qui est arrivé à ma famille. Je me souviens d’une odeur d’humidité et de moisissure. Tous les tremblements de terre ne se ressemblent pas, certains sont plus forts que d’autres. Et on ressent leurs effets très loin, mais affaiblis.

— Tu devais être proche de l’endroit d’où celui de ton enfance est parti, si tous les arbres sont tombés et si le sol s’est ouvert. Cette fois, ce n’était pas aussi grave, un seul sapin s’est effondré.

Ayla sourit.

— Il n’y avait pas beaucoup d’arbres autour de nous.

— C’est vrai, reconnut-il. Raison de plus pour être dehors quand la terre tremble.

— Mais comment prévoir qu’elle va trembler ?

— En observant les chevaux !

— Si seulement ça pouvait marcher toujours, soupira Ayla.

Lorsqu’ils furent à proximité de Vieille Vallée, ils remarquèrent une agitation inhabituelle. Presque tous les membres de la Cinquième Caverne étaient sortis des abris et un groupe s’était formé devant l’un d’eux. Ayla et Jondalar descendirent de cheval et se dirigèrent vers l’abri des visiteurs, qui se trouvait juste après l’attroupement.

— Vous voilà ! s’écria la Première. J’étais inquiète.

— Nous n’avons rien, assura Ayla. Et toi ?

— Moi non plus, mais la Cinquième compte plusieurs blessés, dont un grave. Tu pourrais l’examiner ?

Ayla décela une pointe d’anxiété dans la voix de la doniate.

— Jondalar, tu veux bien t’occuper des chevaux ? Je reste pour aider Zelandoni.

Elle suivit l’obèse jusqu’à l’endroit où un jeune garçon gisait sur une fourrure de couchage étendue sur le sol. On avait glissé sous lui des couvertures et des coussins pour soulever légèrement sa tête et ses épaules. Son crâne reposait sur une peau souple rougie et le sang continuait à couler. Ayla dénoua sa couverture à porter, l’étala sur le sol et posa Jonayla dessus. Loup s’asseyait à côté du bébé quand Hollida s’avança.

— Je peux la garder, dit l’enfant.

— Je t’en serai reconnaissante.

Ayla remarqua un groupe qui s’efforçait de réconforter une femme, probablement la mère du garçon. Ayla savait ce qu’elle éprouverait si ce blessé était son fils. Elle croisa le regard de la Première, le retint un moment et comprit que la blessure était plus que grave.

Elle s’agenouilla pour examiner le garçon. Il était allongé devant l’abri, en pleine lumière, même si les nuages hauts voilaient encore le soleil. Ayla remarqua d’abord qu’il était inconscient et que sa respiration était lente et irrégulière. Il avait beaucoup saigné mais c’était généralement le cas avec les blessures à la tête. Beaucoup plus inquiétant était le liquide rosâtre qui coulait de son nez et de ses oreilles. Cela signifiait que le crâne était fracturé et que la substance qu’il renfermait avait été atteinte, ce qui augurait mal de la suite pour l’enfant. Ayla comprit les craintes de la Première. Elle souleva les paupières du blessé, examina ses yeux ; l’une des pupilles se contracta à la lumière, l’autre ne réagit pas, un mauvais signe de plus. Elle lui tourna légèrement la tête pour que le mucus sanglant sortant de sa bouche s’écoule sur le côté et ne bouche pas les voies respiratoires.

Ayla s’efforça ne pas montrer à la mère qu’elle trouvait l’état de son fils désespéré. Elle se leva et lança à la Première un regard appuyé confirmant son sombre pronostic. Puis les deux femmes rejoignirent le Zelandoni de la Cinquième qui les observait, un peu à l’écart. Il avait déjà examiné le blessé lui-même.

— Qu’est-ce que vous en pensez ? murmura-t-il, regardant d’abord l’aînée puis la plus jeune des deux femmes.

— Je crois qu’il n’y a aucun espoir, répondit Ayla à voix basse.

— Je suis d’accord, je le crains, dit la Première. On ne peut quasiment rien faire pour une telle blessure. Il a non seulement perdu du sang mais aussi d’autres liquides de l’intérieur de la tête. Bientôt la plaie enflera et ce sera la fin.

— C’est ce que je pensais, soupira le doniate. Il va falloir que je parle à la mère.

Les trois Zelandonia s’approchèrent du petit groupe qui tentait visiblement de réconforter la femme assise sur le sol non loin du jeune garçon. Lorsqu’elle découvrit l’expression des visages des doniates, elle éclata en sanglots. Le Zelandoni de la Cinquième s’agenouilla à côté d’elle.

— Je suis désolé, Janella. La Grande Terre Mère rappelle Jonlotan à Elle. Il est une telle joie que Doni ne peut supporter d’être plus longtemps séparée de lui. Elle l’aime trop.

— Je l’aime, moi aussi. Doni ne peut pas l’aimer plus que moi. Il est si jeune. Pourquoi doit-Elle me le prendre maintenant ? gémit Janella.

— Tu le retrouveras quand tu retourneras dans le giron de la Mère et que tu parcourras le Monde d’Après, promit-il.

— Mais je ne veux pas le perdre maintenant. Je veux le voir grandir.

La femme se tourna vers la Première.

— Tu ne peux vraiment rien ? Tu es la plus puissante des Zelandonia.

— Sois sûre que s’il y avait quelque chose à faire, je le ferais. Cela me brise le cœur de le reconnaître mais je suis impuissante face à une telle blessure.

— La Mère a tant d’enfants, pourquoi veut-Elle aussi le mien ?

— C’est une question dont il ne nous est pas donné de connaître la réponse. Je suis désolée, Janella. Reste auprès de lui tant qu’il respire encore et réconforte-le. Son elan, sa force de vie, doit trouver le chemin du Monde d’Après et ton fils est effrayé. Même s’il ne peut le montrer, il te sera reconnaissant de ta présence.

— S’il respire encore, tu crois qu’il pourrait se réveiller ?

— C’est possible.

Plusieurs personnes aidèrent la femme à se lever et la conduisirent à son fils mourant. Ayla prit son bébé dans ses bras, le serra contre elle et après avoir remercié Hollida se dirigea vers l’abri des visiteurs. Les deux autres Zelandonia la rejoignirent.

— Je me sens si inutile, soupira le doniate de la Cinquième Caverne.

— C’est ce que nous ressentons tous en un pareil moment, dit la Première.

— Combien de temps survivra-t-il, d’après toi ?

— On ne sait jamais, répondit-elle. Son agonie peut durer des jours. Si tu le souhaites, nous resterons mais je m’inquiète pour les ravages que le tremblement de terre a pu faire à la Neuvième Caverne. Un certain nombre de ses membres ne sont pas allés à la Réunion d’Été…

— Va voir comment ils vont. Tu as raison, on ne peut pas savoir combien de temps ce garçon survivra et tu es toujours responsable de la Neuvième Caverne. Je peux m’occuper de ce qu’il faut faire ici. Envoyer un elan dans le Monde d’Après n’est pas la responsabilité que je préfère, mais quelqu’un doit s’en charger.

Tous dormirent hors des refuges de pierre cette nuit-là, la plupart sous une tente. Redoutant que des rochers puissent encore tomber, les Zelandonii ne retournaient que brièvement dans leurs abris pour y prendre les choses dont ils avaient besoin. Il y eut quelques répliques et d’autres morceaux de roche se détachèrent des parois et des plafonds, mais rien d’aussi lourd que celui qui était tombé sur le jeune garçon. Du temps s’écoulerait avant que quiconque se sente de nouveau bien dans un abri, même si, avec l’arrivée du froid et de la neige de l’hiver périglaciaire, ils oublieraient le danger d’une chute de pierres et seraient heureux d’être protégés des intempéries.

 

 

Le groupe composé de quatre humains, de trois chevaux et d’un loup se mit en route au matin. Ayla et la Première passèrent voir comment allait le garçon et surtout comment sa mère supportait cette épreuve. La doniate et son acolyte avaient des sentiments partagés. Elles auraient voulu rester pour aider la mère de l’enfant blessé à accepter sa perte, mais elles se faisaient toutes deux du souci pour ceux qui étaient restés au refuge de pierre de la Neuvième Caverne des Zelandonii.

Les voyageurs prirent la direction du sud et longèrent le cours sinueux de la Rivière. La distance n’était pas grande mais sur une partie le lit s’élargissait jusqu’aux parois rocheuses et les berges disparaissaient totalement. Ils durent escalader les hauteurs et redescendre, et les chevaux leur rendirent l’effort moins pénible. En fin d’après-midi, ils furent en vue de la falaise abrupte – avec sa colonne proche du sommet, qui semblait tomber – où se trouvait le vaste abri de la Neuvième Caverne. Les yeux plissés, ils cherchèrent du regard un changement indiquant d’éventuels dégâts pour leur foyer et ses occupants.

Parvenus à la Vallée des Bois, ils traversèrent le ruisseau qui se jetait dans la Rivière. À l’extrémité nord de la terrasse de pierre orientée au sud-ouest, des Zelandonii les attendaient. Quelqu’un les avait vus et avait prévenu les autres. Ils s’engagèrent dans le sentier et quand ils passèrent devant le coin en saillie où se trouvait l’âtre du feu de signal, Ayla remarqua des cendres encore fumantes indiquant qu’on l’avait récemment utilisé et se demanda pourquoi.

La Neuvième étant fortement peuplée, le nombre de ceux qui, pour une raison ou une autre, ne s’étaient pas rendus à la Réunion d’Été était presque aussi élevé que la population totale de Cavernes moins importantes, même s’il était proportionnellement comparable. La Neuvième était la plus peuplée de toutes les Cavernes des Zelandonii, y compris la Vingt-Neuvième et la Cinquième, qui regroupaient chacune plusieurs abris de pierre. Celui de la Neuvième était extrêmement vaste et offrait assez de place pour loger confortablement ses nombreux membres. En outre, la Neuvième comptait en son sein des personnes douées de talent dans maints domaines, ce qui lui conférait un statut élevé parmi les Zelandonii. Nombreux étaient ceux qui voulaient lui appartenir mais elle ne pouvait tous les accueillir et se montrait sélective, choisissant ceux qui accroîtraient son prestige.

Toutes les personnes valides restées à la Caverne sortirent pour assister à l’arrivée du groupe et beaucoup furent stupéfaites : elles n’avaient jamais vu leur doniate assise sur un siège tiré par un cheval. Ayla s’arrêta pour laisser la Première descendre du travois, ce qu’elle fit avec une imperturbable dignité. La Zelandoni avisa une femme mûre, qu’elle savait réfléchie et responsable, qui était restée pour soigner sa mère malade.

— Stelona, avez-vous senti ici le tremblement de terre ? lui demanda-t-elle.

— Nous l’avons senti et les gens ont eu peur. Quelques rochers sont tombés mais pour la plupart au lieu de rassemblement, pas ici. Personne n’a été blessé, déclara la femme, devançant la question suivante de la Première.

— Je suis heureuse de l’entendre. La Cinquième, à laquelle nous avons rendu visite, n’a pas eu cette chance. As-tu des nouvelles des autres Cavernes de la région, Stelona ? La Troisième ? La Onzième ? La Quatorzième ?

— Seulement la fumée de leur feu de signal pour nous faire savoir qu’elles étaient toujours là et n’avaient pas besoin d’aide dans l’immédiat.

— C’est bien mais je pense que j’irai voir quand même s’ils ont subi d’éventuels dégâts, dit la doniate, qui se tourna vers Ayla et son compagnon. Vous voulez m’accompagner ? Et emmener peut-être les chevaux ? Ils pourraient être utiles si quelqu’un a finalement besoin d’aide.

— Aujourd’hui ? demanda Jondalar.

— Non, je pensais plutôt faire le tour de nos voisins demain matin.

— Je viendrai, dit Ayla.

— Moi aussi, ajouta Jondalar.

Ils commencèrent à décharger le travois de Rapide en n’y laissant que leurs propres affaires, posèrent les ballots sur la corniche au bord de l’espace à vivre et menèrent ensuite les chevaux, tirant les travois très allégés, au-delà de la partie de l’abri où vivaient la plupart des Zelandonii de la Neuvième. Eux-mêmes demeuraient à l’autre bout de la zone habitée. Le surplomb de pierre abritait aussi une autre partie plus vaste qui n’était utilisée que rarement, exception faite de l’endroit qu’ils avaient aménagé pour les chevaux. En parcourant le devant de l’immense terrasse, ils constatèrent que de nouveaux morceaux de roche étaient tombés, mais rien de lourd, rien de plus gros que les pierres qui se détachaient parfois d’elles-mêmes sans raison précise.

Lorsqu’ils parvinrent à la grande pierre plate sur laquelle Joharran et d’autres montaient quelquefois pour s’adresser à un groupe, Ayla se demanda quand elle était tombée et ce qui avait causé sa chute. Était-ce un tremblement de terre ? Soudain, les abris de pierre ne lui parurent plus si sûrs.

En conduisant les chevaux à leur enclos, sous le surplomb, Ayla s’attendait à demi à ce qu’ils regimbent, comme la veille. Mais l’endroit leur était familier et ils ne sentaient apparemment aucun danger. Ils se dirigèrent docilement vers l’enceinte, ce qui la soulagea. Il n’y avait pas vraiment de moyen de se protéger, ni dedans ni dehors, lorsque la terre tremblait, mais si le comportement des chevaux l’avertissait de nouveau, elle choisirait sans doute de se ruer dehors.

Après avoir détaché les perches et les avoir rangées à leur place habituelle, ils menèrent les bêtes à l’enclos qu’ils avaient fabriqué pour elles. Ce n’était pas un enclos à proprement parler puisqu’il n’était pas fermé par une barrière et que les chevaux pouvaient aller et venir à leur gré sous le surplomb. Ayla alla chercher de l’eau au ruisseau qui séparait la Neuvième Caverne d’En-Aval et la versa dans leur abreuvoir, même si les chevaux auraient pu tout aussi bien aller boire au ruisseau. Elle voulait être sûre qu’il y ait de l’eau dans l’enclos pendant la nuit, surtout pour la pouliche.

Ce n’était que pendant la saison printanière du rut que la liberté des chevaux était réduite. Non seulement Ayla et Jondalar fermaient l’enclos mais ils passaient des licous aux bêtes et les attachaient à des poteaux. Le couple dormait généralement à proximité pour éloigner les étalons attirés par la jument. Ayla ne voulait pas qu’un mâle force Whinney à rejoindre son troupeau ; Jondalar ne voulait pas que Rapide s’enfuie et soit blessé en se battant avec d’autres étalons pour s’octroyer le droit de monter les femelles attirantes. Il fallait même l’éloigner de sa mère, dont l’odeur de jument en chaleur était terriblement forte. C’était une période difficile pour tous.

Certains chasseurs mettaient à profit l’odeur de Whinney, que des mâles pouvaient détecter à près de deux kilomètres, pour en abattre quelques-uns, mais ils s’arrangeaient toujours pour qu’Ayla ne soit pas présente et ne lui en parlaient jamais. Elle le savait, cependant, et ne leur en faisait pas vraiment reproche. Elle avait perdu le goût de la viande de cheval et n’en mangeait plus, mais la plupart des Zelandonii s’en délectaient. Tant qu’ils ne s’en prenaient pas à ses chevaux, elle ne s’opposait pas à ce qu’ils chassent les autres. Ils constituaient une précieuse source de nourriture.

Ayla et Jondalar retournèrent à leur habitation et déchargèrent leurs affaires. Bien qu’ils n’aient pas été longtemps absents – pas même le temps habituel d’une Réunion d’Été – elle était heureuse d’être de retour. La visite des Lieux Sacrés et des Cavernes situées sur le chemin avait duré plus longtemps que prévu. Ces efforts l’avaient fatiguée et le tremblement de terre avait achevé de saper son énergie.

Comme Jonayla commençait à geindre, elle sortit la changer puis revint à l’intérieur et s’assit pour l’allaiter. Leur habitation, faite de panneaux en cuir brut, n’avait pas de plafond et lorsqu’elle levait les yeux elle voyait le dessous du surplomb rocheux de l’abri naturel. Une odeur de nourriture en train de cuire annonçait un repas partagé avec la communauté, après quoi elle se glisserait sous leurs fourrures de couchage, se blottirait entre Jondalar et Jonayla, non loin de Loup. Elle était contente d’être rentrée.

 

 

— Il y a dans le voisinage une grotte sacrée que tu n’as pas vraiment explorée, dit la Première à Ayla alors qu’elles prenaient ensemble le repas du matin le lendemain de leur retour. Il s’agit de ce que nous appelons le Lieu des Femmes, de l’autre côté de la Rivière des Prairies.

— J’y suis allée.

— Oui, mais jusqu’où ? Elle recèle bien davantage que ce que tu as vu. Elle se trouve sur le chemin du Rocher à la Tête de Cheval et du Foyer Ancien, je pense que nous devrions y faire halte en revenant.

Sur le chemin du Rocher à la Tête de Cheval, ils s’arrêtèrent sur les terres de deux ou trois petites Cavernes proches de la Petite Rivière des Prairies, que des jeunes gens se sentant à l’étroit avaient récemment formées. Ces abris étaient habités au moins une partie de l’année et on commençait à leur donner le nom de Nouveau Foyer. Ce jour-là, ils étaient tous déserts, même le plus peuplé, appelé la Colline de l’Ours. La Première expliqua que les jeunes qui y vivaient se considéraient toujours comme appartenant à la Caverne de leur famille et qu’ils l’accompagnaient à la Réunion d’Été. Ceux qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas y aller avaient rejoint les membres de leur Caverne d’origine restés sur place. Si les trois voyageurs ne virent donc personne, passer par là permit à Jondalar et à Zelandoni de montrer à Ayla le « chemin de derrière » menant au Rocher à la Tête de Cheval, au Foyer Ancien et à Douce Vallée, la riche bande de terre basse fertile qui les séparait.

Après la Colline de l’Ours, ils traversèrent la Petite Rivière des Prairies – dont le niveau était bas à cette période de l’année, en particulier aux endroits où elle s’élargissait – puis grimpèrent sur les hauteurs en direction de Douce Vallée et du Rocher à la Tête de Cheval, Septième Caverne des Zelandonii. Ceux de la Deuxième qui n’étaient pas allés à la Réunion d’Été avaient rejoint la Septième et le petit groupe ainsi formé accueillit chaleureusement les visiteurs, en partie parce que les faibles et les malades étaient contents de la venue des doniates, mais surtout parce que cela rompait l’ennui de voir toujours les mêmes personnes. Les Zelandonii était un peuple sociable, habitué à vivre en grand nombre dans des espaces exigus, et l’animation de la Réunion d’Été manquait à ceux que leur état empêchait d’y participer.

Tous avaient senti le tremblement de terre mais personne n’avait été blessé. Encore inquiets, cependant, ils cherchaient du réconfort auprès de la Première. Ayla remarqua que la doniate parvint à les rassurer sans toutefois rien leur dire de précis. C’était dû à sa façon de parler, à la fermeté de ses propos. Même Ayla se sentit mieux. Ils passèrent la nuit à la Septième, dont les membres avaient commencé à préparer un repas spécial dès leur arrivée. Il eût été impoli et peu amical de repartir immédiatement.

Le lendemain, sur le chemin du retour, la Première voulut passer par un endroit qu’ils avaient laissé de côté à l’aller. Ils escaladèrent de nouveau les hauteurs en direction de la Petite Rivière des Prairies et poussèrent en aval jusqu’à une communauté installée au bord de la butte appelée le Point de Guet. L’endroit portait bien son nom. De ce promontoire, on voyait au loin dans toutes les directions, en particulier vers l’ouest.

Ayla se sentit nerveuse sans savoir pourquoi dès qu’ils en approchèrent. Lorsqu’elle descendit de cheval, Loup vint se frotter contre sa jambe en geignant. Lui non plus n’aimait pas cet endroit, mais les chevaux demeuraient calmes. C’était une belle journée d’été, avec un chaud soleil baignant de ses rayons l’herbe verte de la colline, d’où l’on découvrait tout le voisinage. Ayla ne vit rien qui pût expliquer son appréhension et hésita à en parler.

— Tu veux qu’on fasse halte ici pour manger et se reposer ? demanda Jondalar à la Première.

— Je ne vois aucune raison de le faire ici puisque nous allons nous arrêter de toute façon au Lieu des Femmes, répondit-elle en retournant au travois. Et si nous n’y restons pas trop longtemps, nous serons de retour à la Neuvième avant la nuit.

Ayla ne fut pas mécontente que la Zelandoni ait décidé de continuer. Ils descendirent le flanc ouest de la colline jusqu’à la Petite Rivière des Prairies et la traversèrent près de l’endroit où elle se jetait dans la Rivière des Prairies. Un peu plus loin, une petite vallée en forme de U entourée de hautes falaises calcaires débouchait sur la Rivière, et de l’autre côté s’étendait la verte Vallée des Prairies, qui donnait son nom au cours d’eau.

Son herbe grasse attirait souvent diverses espèces d’herbivores mais les hautes parois abruptes faisaient rapidement place à des pentes faciles à escalader, en particulier pour des ongulés, ce qui rendait difficile de transformer la vallée en piège de chasse sans construire de barrières. On avait entrepris de le faire sans jamais finir, et il ne restait de ces efforts qu’un morceau de clôture à demi écroulé.

Le Lieu des Femmes n’était pas interdit aux hommes mais, hormis les membres de la Zelandonia, peu d’entre eux s’y rendaient. Ayla s’y était déjà arrêtée, en général pour porter un message, ou parce qu’elle accompagnait quelqu’un en route pour un autre endroit. Elle n’avait jamais eu l’occasion d’y rester longtemps. La plupart du temps, elle y était arrivée en venant de la Neuvième Caverne et elle savait qu’en pénétrant dans la vallée, avec la Rivière des Prairies derrière elle, elle avait sur sa droite une petite grotte servant d’abri temporaire et parfois de remise. Une autre caverne s’enfonçait dans la même paroi juste après l’entrée de la vallée.

Bien plus importantes étaient les deux longues failles étroites et sinueuses qui partaient d’un petit abri de pierre situé au bout de la prairie, un peu au-dessus du niveau de la plaine d’inondation de la rivière. Ces grottes du fond de la vallée expliquaient en partie qu’on ait rechigné à faire de l’endroit un terrain de chasse, bien que cet obstacle n’eût pas été décisif si la vallée avait parfaitement convenu à cet objectif. La première galerie, à droite, serpentait dans la roche dans la direction d’où ils étaient venus jusqu’à une sortie proche de la première petite grotte de droite. Bien qu’ornés de nombreuses gravures, cette grotte et l’abri d’où elle partait servaient généralement d’endroit où l’on s’installait avant d’aller visiter l’autre grotte.

Il n’y avait personne lorsque Ayla, Jondalar et Zelandoni y arrivèrent. La plupart des membres de la Caverne n’étaient pas encore revenus de leurs activités d’été et ceux qui étaient restés n’avaient aucune raison de se rendre au Lieu des Femmes. Jondalar détacha les travois pour donner aux chevaux un peu de repos. Les femmes qui utilisaient l’endroit le laissaient en général propre et bien rangé, mais les visites étaient fréquentes et un lieu des femmes était inévitablement aussi un lieu des enfants. Les autres fois où Ayla s’y était rendue, elle y avait remarqué les signes des activités habituelles d’un endroit habité. Bols en bois, paniers tressés, jouets, vêtements, râteliers pour faire sécher la viande. Des outils en bois, en os ou en pierre y avaient été abandonnés ou, emportés par des enfants, avaient fini dans un coin obscur de la grotte. Comme on faisait à manger dans l’abri, les détritus s’accumulaient et, en particulier lorsque le temps était mauvais, on s’en débarrassait en les jetant dans la grotte, mais uniquement, Ayla l’apprit, dans celle de droite.

Elle repéra un rondin creusé qui avait manifestement servi de récipient mais préféra utiliser ses propres ustensiles pour faire de la tisane et de la soupe. Elle alla chercher du bois, alluma un feu dans un creux du sol déjà rempli de cendres et mit des pierres à cuire dans les flammes pour chauffer l’eau. Sur les blocs de calcaire et les gros rondins installés autour de l’âtre par les occupants précédents, la Première disposa les coussins de son travois afin d’en faire des sièges plus confortables. Ayla donna le sein à Jonayla puis la posa sur sa couverture et la regarda s’endormir pendant qu’elle-même mangeait.

— Tu veux nous accompagner dans la grotte, Jondalar ? demanda la doniate à la fin du repas. Tu n’es probablement pas venu ici depuis que tu étais un jeune garçon et que tu y as laissé ta marque.

— D’accord, répondit-il.

Presque tout le monde laissait sa marque sur les parois de cette grotte à un moment ou à un autre, plus d’une fois pour certains, et généralement dans l’enfance ou l’adolescence pour les hommes. Il se rappelait la première fois qu’il y avait pénétré. C’était une grotte simple, sans galeries où l’on risquait de s’égarer, et on laissait les jeunes y trouver leur chemin. Ils y allaient le plus souvent seuls – ou au maximum à deux – pour apposer leur marque personnelle, sifflaient ou fredonnaient en avançant jusqu’à ce que la paroi parût leur répondre. Les marques ne représentaient pas un nom, elles étaient une façon de parler de soi à la Grande Terre Mère, de son rapport à Elle. Souvent, on se contentait de la trace d’un doigt. C’était suffisant.

Après qu’ils eurent fini de manger, Ayla rattacha son bébé sur son dos et, chacun tenant une lampe allumée, ils se mirent en route, la doniate devant et Loup fermant la marche. Jondalar se souvint que la grotte de gauche était excessivement longue – plus de huit cents pieds à travers le calcaire – et que le début de la galerie, facile à franchir, n’avait rien de particulier. Seules quelques marques sur les parois, près de l’entrée, indiquaient que d’autres les avaient précédés.

— Utilise donc tes chants d’oiseau pour parler à la Mère, suggéra la Première à son acolyte.

Ayla, qui avait entendu la Zelandoni fredonner d’une voix basse et mélodieuse, ne s’attendait pas à cette requête.

— Si tu veux, répondit-elle.

Elle se lança dans une série de sifflements en choisissant les doux chants du soir.

À quatre cents pieds de l’entrée, la grotte se rétrécissait et les sons résonnèrent différemment. À partir de cet endroit, les parois étaient couvertes de gravures de toutes sortes, très nombreuses et souvent inextricablement superposées, mêlées les unes aux autres. Quelques-unes étaient isolées et un grand nombre de celles qu’on pouvait interpréter remarquablement exécutées. Des femmes adultes visitaient très souvent cette grotte et les gravures les plus accomplies, les plus raffinées, étaient leur œuvre.

Les chevaux prédominaient, représentés au repos ou en mouvement, parfois même au galop. Les bisons aussi étaient nombreux et côtoyaient toute une variété d’autres animaux : rennes, mammouths, bouquetins, ours, chats, ânes, cerfs, rhinocéros laineux, loups, renards, antilopes saïgas, des centaines de gravures au total. Certaines étaient inhabituelles, comme la tête de lion dont l’œil avait été rendu de manière saisissante en utilisant une pierre naturellement enchâssée dans la paroi, le renne qui se penchait pour boire, remarquable de beauté et de réalisme, de même que les deux rennes se faisant face. Fragiles, les parois se prêtaient mal à la peinture mais on pouvait facilement les graver ou y laisser des marques, simplement avec les doigts.

Il y avait aussi de nombreuses parties d’êtres humains, des mains, des silhouettes, mais toujours déformées, et ils n’étaient jamais aussi magnifiquement représentés que les animaux, entre autres un personnage assis de profil, aux membres disproportionnés. Beaucoup de gravures étaient inachevées et perdues dans un entrelacs de lignes, de symboles géométriques, de signes en forme de toit, de marques et de gribouillis qu’on pouvait interpréter de multiples façons, parfois selon la façon dont on les éclairait. Ces cavernes avaient été creusées à l’origine par les rivières souterraines et il y avait encore à la fin de la galerie une zone karstique de grotte en formation.

Loup, qui courait devant dans des parties inaccessibles, revint en portant dans sa gueule quelque chose qu’il laissa tomber au pied d’Ayla.

— Qu’est-ce que c’est ? dit-elle en se baissant pour le ramasser.

Tous trois approchèrent leurs lampes.

— On dirait un morceau de crâne ! s’exclama Ayla. Et là, une partie de mâchoire… Elle est petite, ce devait être celle d’une femme. Où a-t-il trouvé ça ?

La Première prit l’os, le tint à la lumière.

— On a peut-être enterré quelqu’un ici il y a très longtemps. Aussi loin que je me souvienne, les environs ont toujours été habités.

Elle vit Jondalar frissonner : il préférait laisser le Monde des Esprits à la Zelandonia, elle le savait.

Le compagnon d’Ayla aidait aux enterrements quand on le lui demandait, mais il détestait cela. Généralement, lorsque les hommes revenaient d’avoir creusé une fosse, ou après avoir pris part à d’autres activités les rapprochant dangereusement du Monde d’Après, ils se rendaient dans la grotte appelée Lieu des Hommes pour y être lavés et purifiés. Elle se trouvait sur une hauteur, de l’autre côté de la Rivière des Prairies par rapport à la Troisième Caverne. Elle non plus n’était pas interdite aux femmes, mais, tout comme les lointaines, elle était essentiellement réservée à des activités masculines et peu de femmes, en dehors de la Zelandonia, y pénétraient.

— L’esprit en est parti depuis longtemps, déclara la Première. L’elan a trouvé son chemin vers le Monde d’Après depuis tant d’années qu’il ne reste que ce morceau d’os. Il y en a peut-être d’autres.

— Tu sais pourquoi on a enterré quelqu’un ici ? demanda Jondalar.

— Ce n’est pas habituel et cette personne a été mise dans ce lieu sacré pour une raison précise. J’ignore pourquoi la Mère a laissé le loup emporter cet os mais je vais le remettre à sa place. Il vaut mieux le rendre à Doni.

Celle Qui Était la Première s’engagea dans les ténèbres de la grotte. Ayla et Jondalar virent la lumière vacillante de sa lampe s’éloigner puis disparaître. Peu après, elle réapparut, annonçant le retour de la doniate.

— Je crois qu’il est temps de rentrer, dit-elle.

Ayla quitta l’endroit avec plaisir. En plus de l’obscurité, les grottes étaient toujours humides et froides et celle-ci avait en outre quelque chose d’oppressant, mais c’était peut-être parce que la jeune femme avait eu son content de visites et qu’elle voulait simplement rentrer.

En arrivant à la Neuvième Caverne, ils découvrirent qu’un certain nombre de ses membres étaient revenus de la Réunion d’Été, même si quelques-uns projetaient de repartir bientôt. Ils avaient amené avec eux un jeune homme qui souriait timidement à la femme assise à côté de lui. À ses cheveux châtains et à ses yeux gris, Ayla reconnut Matagan, le membre de la Cinquième Caverne qui avait été blessé à la jambe par un rhinocéros laineux l’année précédente.

Ayla et Jondalar revenaient de leur période d’isolement après leur Matrimoniale lorsqu’ils avaient vu plusieurs jeunes gens sans expérience défier un énorme animal adulte. Ils partageaient une des lointaines de célibataires, certains pour la première fois, et, imbus d’eux-mêmes, ne doutaient pas de vivre éternellement. Ayant repéré la bête, ils avaient décidé de l’abattre sans l’aide d’un chasseur plus âgé et plus expérimenté. Ils ne songeaient qu’aux éloges et à la gloire que leur vaudrait leur exploit lorsque qu’on l’apprendrait à la Réunion d’Été.

Ils étaient vraiment jeunes, certains venaient à peine d’accéder au statut de chasseur et un seul d’entre eux avait déjà assisté à une chasse au rhinocéros. Ils ignoraient que cette bête massive pouvait être d’une rapidité surprenante et qu’il ne fallait relâcher sa concentration à aucun moment. L’animal montrait des signes de fatigue et le jeune garçon ne s’était pas méfié assez. Lorsque le rhinocéros avait chargé, Matagan n’avait pas esquivé assez vite et avait été gravement blessé à la jambe droite, sous le genou. La pointe des deux os brisés sortait de la chair ensanglantée. Matagan serait mort si Ayla n’avait pas été là et n’avait pas appris lorsqu’elle vivait au Clan à remettre en place un membre fracturé et à arrêter une hémorragie.

Ayant échappé à la mort, Matagan avait craint de ne plus pouvoir s’appuyer sur cette jambe. Il avait recommencé à marcher mais ne pouvait plus s’accroupir ni suivre un animal à la trace : il ne deviendrait jamais vraiment un bon chasseur. On avait alors envisagé qu’il apprenne à tailler le silex avec Jondalar. La mère du garçon et son compagnon, ainsi que Kemordan, le chef de la Cinquième Caverne, Joharran, Jondalar et Ayla, puisque Matagan vivrait avec eux, avaient finalement réglé tous les détails avant la fin de la Réunion d’Été. Ayla s’était prise de sympathie pour le jeune garçon et avait approuvé la décision. Matagan devait acquérir des capacités qui lui conféreraient un statut respecté et elle se souvenait que pendant leur Voyage Jondalar avait montré qu’il aimait partager les siennes avec tous ceux qui souhaitaient apprendre, en particulier les jeunes.

Mais en revenant à la Neuvième Caverne elle espérait passer un ou deux jours tranquille dans son foyer. Elle prit sa respiration et s’approcha de Matagan. Il lui sourit, se leva avec difficulté.

— Je te salue, Matagan, lui dit-elle en lui prenant les deux mains. Au nom de la Grande Terre Mère, je te souhaite la bienvenue.

Elle l’examina attentivement à la dérobée, remarqua qu’il était grand pour son âge et n’avait sans doute pas atteint sa taille adulte. Il fallait espérer que sa jambe blessée continuerait à se développer en même temps que son corps car sa boiterie s’accentuerait si ses deux membres inférieurs étaient inégaux en taille.

— Au nom de Doni, je te salue, Ayla, répondit-il en usant de la formule de politesse qu’on lui avait apprise.

Jonayla, attachée dans le dos de sa mère, gigota pour voir à qui elle parlait.

— Je crois que ma fille veut te saluer, elle aussi.

Ayla desserra la couverture à porter et fit passer Jonayla devant. Les yeux écarquillés, l’enfant regarda fixement le jeune garçon, sourit tout à coup et lui tendit les bras. Matagan lui rendit son sourire.

— Je peux la prendre ? demanda-t-il. Je sais comment faire, j’ai une sœur un peu plus âgée qu’elle.

Et elle te manque déjà, pensa Ayla en lui tendant son bébé.

Il lui parut à l’aise avec un enfant dans les bras.

— Tu as beaucoup de frères et sœurs ?

— Oui. Je suis l’aîné, elle est la plus jeune, et il y en a quatre autres entre nous, dont deux nés-ensemble.

— Ton aide manquera sûrement beaucoup à ta mère. Quel âge as-tu ?

— J’ai treize ans, répondit-il.

L’année précédente, lorsqu’il avait entendu cette étrangère pour la première fois, il avait trouvé qu’elle avait un curieux accent mais après l’accident, lorsqu’il souffrait beaucoup, il avait pris plaisir à l’écouter parce qu’elle le réconfortait et le soulageait toujours. D’autres Zelandonia s’étaient occupés de lui mais elle était venue le voir régulièrement pour lui donner des remèdes et bavarder avec lui.

— Et tu as passé tes Premiers Rites l’été dernier, fit une voix derrière Ayla.

C’était Jondalar, qui avait entendu leur conversation en s’approchant d’eux. Les vêtements de Matagan, les motifs qui y étaient cousus, les perles et les bijoux qu’il portait indiquaient qu’il était maintenant considéré comme un homme de la Cinquième Caverne des Zelandonii.

— Oui, à la Réunion d’Été. Avant d’être blessé.

— Le moment est venu pour toi d’apprendre. As-tu déjà taillé le silex ?

— Un peu. Je sais faire une pointe de sagaie ou un couteau, redonner du tranchant à une lame émoussée. Je ne suis pas le meilleur, mais le résultat est correct.

— La question est plutôt de savoir si tu aimes la taille.

— J’aime quand c’est réussi. Ce n’est pas toujours le cas.

— Même pour moi, dit Jondalar en souriant. Tu as mangé ?

— Je viens de finir.

— Pas nous. Nous rentrons à l’instant. Tu sais qu’Ayla est devenue acolyte de la Première ?

— Tout le monde le sait, je crois, répondit Matagan en retournant Jonayla pour l’appuyer contre son épaule.

— Avez-vous senti le tremblement de terre pendant votre voyage ? demanda Ayla. Quelqu’un de votre groupe a-t-il été blessé ?

— Plusieurs sont tombés mais personne n’a vraiment été blessé. Mais tout le monde a eu peur, je crois. Moi, je sais que j’ai eu peur.

— Je ne connais personne qui ne soit pas effrayé par un tremblement de terre, déclara Jondalar. Une fois que nous aurons mangé, nous te montrerons où tu pourras t’installer. Nous n’avons rien prévu de particulier pour le moment, nous réglerons ça plus tard.

Ils se dirigèrent vers l’autre côté de l’abri et Ayla tendit les bras pour reprendre Jonayla.

— Je peux la garder pendant que vous mangez, proposa Matagan. Enfin, si elle est d’accord.

— Elle nous le fera comprendre.

Ayla s’approchait de la fosse à feu où on avait fait cuire la nourriture lorsque Loup apparut. Il s’était arrêté pour boire en arrivant à la Caverne et avait découvert que quelqu’un avait mis de la viande dans son bol. Les yeux de Matagan s’agrandirent de surprise mais il avait déjà vu l’animal et ne semblait pas trop effrayé. Ayla lui avait présenté Loup l’année précédente quand elle soignait sa blessure. L’animal flaira le jeune garçon qui tenait dans ses bras le petit de sa meute et reconnut son odeur. Lorsque Matagan s’assit, Loup fit de même et Jonayla parut satisfaite de l’arrangement.

Lorsqu’ils eurent fini de manger, le soir tombait. Il y avait toujours des torches prêtes à servir près du feu principal où le groupe se rassemblait souvent et Jondalar en alluma une. Tous les trois avaient encore leurs sacs et leurs fourrures de couchage avec eux et Jondalar aida Ayla à porter ses affaires en plus de Jonayla, mais Matagan se débrouilla seul avec les siennes et le solide bâton sur lequel il s’appuyait quelquefois pour marcher. Apparemment, il n’en avait pas besoin tout le temps. Ayla supposait qu’il avait dû s’en servir pendant le long voyage depuis Vue du Soleil, l’endroit où s’était tenue la Réunion d’Été, mais qu’il pouvait s’en passer pour de courtes distances.

Jondalar pénétra le premier dans leur habitation et tint écarté le rideau de l’entrée pour Matagan et Ayla.

— Pour le moment, installe ta fourrure de couchage près du feu dans la grande pièce, nous trouverons une meilleure solution demain, dit Jondalar en se demandant pendant combien de temps Matagan allait vivre avec eux.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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